S'il
n'est toujours pas consacré en tant que tel, l'art
"numérique" gagne chaque jour un peu plus en notoriété.
Pour autant, il reste destiné à un public d'initiés
et il peine encore à séduire les grands collectionneurs
d'art contemporain. Présenté
il y a déjà un an dans nos colonnes (voir LMI
n° 905), le site www.artfloor.com s'attache à
découvrir des talents sans trop solliciter les
cordons de la bourse : pas de locaux, pas de publicité
et des prix trois fois moins élevés que ceux pratiqués
par les galeristes. La formule, une fois n'est
pas coutume dans le monde plutôt sinistré des
start-up, semble concluante. On
entre chez Artfloor comme dans une galerie, les
murs sont blancs et une quarantaine d'œuvres de
jeunes artistes contemporains défilent par le
biais d'un menu déroulant horizontal. Bien sûr,
toutes les fonctionnalités d'Internet sont exploitées
: possibilité d'agrandir la photo, de zoomer sur
des détails, d'utiliser le moteur de recherche
pour une requête rapide sur un artiste, ou encore,
de cliquer sur la discrète icône "caddie". Car
si parfois on l'oublie, ce site effectue de la
vente en ligne. Les
deux fondateurs entendent d'ailleurs élargir leur
public d'internautes en proposant à partir d'octobre
un espace pour les entreprises et "Second Floor"
pour un public un peu plus averti. La
place du numérique chez Artfloor ? "C'est un vecteur
important de l'art d'aujourd'hui, peut-être même
le plus en adéquation avec son temps. Il faut
donc le présenter car il est une source majeure
de diversification de la création artistique contemporaine.
Sur les mille trois cents artistes qui nous ont
contactés, nous avons reçu environ une cinquantaine
de dossiers de création numérique. Cela montre
la prolifération de ce type de travail, certes
peu commercialisable mais ouvrant la porte à de
nouveaux canaux de production artistique", explique
Georges Ranunkel. Certes,
l'œuvre sur le Web n'est qu'un flux d'information
accessible à tout le monde. Oui, il s'agit de
virtuel. Mais attention, "virtuel ne veut pas
dire immatériel. Avec Internet apparaît une matérialité
différente", entonne Jean-Louis Boissier, professeur
à Paris-VIII et conseiller artistique pour l'exposition
Digit@rt à la Villette (voir article ci-dessous).
"La démarche du collectionneur prend aussi tout
son sens sur le Web. Il achète un espace sur un
serveur et produit des artistes", renchérit de
son côté Grégoire Maisonneuve, producteur indépendant.
Sauf que, pour l'instant, très peu de projets
sont vendus et que le bénévolat est souvent de
mise. Mais pour Grégoire Maisonneuve, le jeu en
vaut la chandelle. Avec l'artiste et programmeur
Patrick Bernier, il a ainsi lancé le site http://217.174.192.66.
(Ces chiffres correspondant tout simplement à
l'adresse IP de l'ordinateur qui héberge le site.)
"217", comme l'appellent les initiés, est une
plate-forme qui entend soutenir et accompagner,
de la production à la promotion, des projets d'artistes
développés spécifiquement pour Internet. Ergonomie
on ne peut plus sobre, minimalisme poussé à l'extrême,
toutes les fonctionnalités que l'on trouve classiquement
sur les sites Internet ont été délibérément délaissées
(accès sans navigation préalable, absence de liens,
de pages intermédiaires, de menus déroulants,
de moteurs de recherche). La seule fantaisie,
qui fait d'ailleurs l'originalité du site, reste
un petit pop-up permettant d'accéder à l'œuvre
en fonction de l'heure. Six projets (*) se succèdent
ainsi toutes les vingt minutes. Pour découvrir
une autre œuvre, il faut prendre le temps de revenir…
Un minimalisme et une exploitation originale du
temps qui n'empêchent pas de porter un regard
critique sur notre société. Les
projets actuellement en ligne ont en commun de
s'interroger sur le poids des médias et du marketing
dans une société très axée sur l'information.
Apparaissent donc des montages et des juxtapositions
de séquences vidéo de CNN, de photos en formats
jpeg prises au hasard sur Google, ou encore d'articles
relatifs aux hommes politiques corrompus et parus
dans la presse italienne… Sans tambour ni trompette,
"217" mène sa vie, et plus de sept mille personnes
l'ont visité. S'il était important de rester indépendant
dans la phase de conception du site, Grégoire
Maisonneuve reconnaît aujourd'hui rechercher des
mécènes. (*) Projets en ligne de Patrick Bernier,
Ludovic Burel, Claude Closky, Gianni Motti, le
collectif Téléférique et Rainer Ganahl LE MONDE INFORMATQIUE - Septembre 2002 |