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Revue de Presse
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Le Monde Informatique


L'art enfin dopé par Internet



S'il n'est toujours pas consacré en tant que tel, l'art "numérique" gagne chaque jour un peu plus en notoriété. Pour autant, il reste destiné à un public d'initiés et il peine encore à séduire les grands collectionneurs d'art contemporain.

Quand la Bourse tousse, l'art contemporain sourit. C'est du moins l'avis des deux fondateurs de la galerie virtuelle d'art contemporain Artfloor (www.artfloor.com), Georges Ranunkel et Geoffroy de Francony. L'immobilier ne serait donc pas la seule valeur refuge. L'art contemporain suscite aussi les convoitises des investisseurs. En particulier sur le marché des jeunes artistes, plus abordables en termes de mise de départ et avec un potentiel de croissance à court terme plus élevé.

Présenté il y a déjà un an dans nos colonnes (voir LMI n° 905), le site www.artfloor.com s'attache à découvrir des talents sans trop solliciter les cordons de la bourse : pas de locaux, pas de publicité et des prix trois fois moins élevés que ceux pratiqués par les galeristes. La formule, une fois n'est pas coutume dans le monde plutôt sinistré des start-up, semble concluante.
Artfloor, c'est aujourd'hui une centaine d'œuvres vendues, près de deux cent mille visiteurs uniques, un public ciblé de cadres supérieurs, de préférence avocats ou financiers, de sexe masculin et dont l'âge oscille entre 30 et 40 ans.

On entre chez Artfloor comme dans une galerie, les murs sont blancs et une quarantaine d'œuvres de jeunes artistes contemporains défilent par le biais d'un menu déroulant horizontal. Bien sûr, toutes les fonctionnalités d'Internet sont exploitées : possibilité d'agrandir la photo, de zoomer sur des détails, d'utiliser le moteur de recherche pour une requête rapide sur un artiste, ou encore, de cliquer sur la discrète icône "caddie". Car si parfois on l'oublie, ce site effectue de la vente en ligne.

Les deux fondateurs entendent d'ailleurs élargir leur public d'internautes en proposant à partir d'octobre un espace pour les entreprises et "Second Floor" pour un public un peu plus averti.

La place du numérique chez Artfloor ? "C'est un vecteur important de l'art d'aujourd'hui, peut-être même le plus en adéquation avec son temps. Il faut donc le présenter car il est une source majeure de diversification de la création artistique contemporaine. Sur les mille trois cents artistes qui nous ont contactés, nous avons reçu environ une cinquantaine de dossiers de création numérique. Cela montre la prolifération de ce type de travail, certes peu commercialisable mais ouvrant la porte à de nouveaux canaux de production artistique", explique Georges Ranunkel.

Un art encore peu commercialisable

Plus peut-être que toutes les autres disciplines artistiques à leurs débuts, l'art numérique, et surtout quand il s'agit d'exposition sur le Net, laisse perplexe. Aux artistes et à quelques galeristes convaincus reviendra donc la lourde tâche de sensibiliser le public.

Certes, l'œuvre sur le Web n'est qu'un flux d'information accessible à tout le monde. Oui, il s'agit de virtuel. Mais attention, "virtuel ne veut pas dire immatériel. Avec Internet apparaît une matérialité différente", entonne Jean-Louis Boissier, professeur à Paris-VIII et conseiller artistique pour l'exposition Digit@rt à la Villette (voir article ci-dessous). "La démarche du collectionneur prend aussi tout son sens sur le Web. Il achète un espace sur un serveur et produit des artistes", renchérit de son côté Grégoire Maisonneuve, producteur indépendant. Sauf que, pour l'instant, très peu de projets sont vendus et que le bénévolat est souvent de mise. Mais pour Grégoire Maisonneuve, le jeu en vaut la chandelle. Avec l'artiste et programmeur Patrick Bernier, il a ainsi lancé le site http://217.174.192.66. (Ces chiffres correspondant tout simplement à l'adresse IP de l'ordinateur qui héberge le site.) "217", comme l'appellent les initiés, est une plate-forme qui entend soutenir et accompagner, de la production à la promotion, des projets d'artistes développés spécifiquement pour Internet. Ergonomie on ne peut plus sobre, minimalisme poussé à l'extrême, toutes les fonctionnalités que l'on trouve classiquement sur les sites Internet ont été délibérément délaissées (accès sans navigation préalable, absence de liens, de pages intermédiaires, de menus déroulants, de moteurs de recherche). La seule fantaisie, qui fait d'ailleurs l'originalité du site, reste un petit pop-up permettant d'accéder à l'œuvre en fonction de l'heure. Six projets (*) se succèdent ainsi toutes les vingt minutes. Pour découvrir une autre œuvre, il faut prendre le temps de revenir… Un minimalisme et une exploitation originale du temps qui n'empêchent pas de porter un regard critique sur notre société.

Les projets actuellement en ligne ont en commun de s'interroger sur le poids des médias et du marketing dans une société très axée sur l'information. Apparaissent donc des montages et des juxtapositions de séquences vidéo de CNN, de photos en formats jpeg prises au hasard sur Google, ou encore d'articles relatifs aux hommes politiques corrompus et parus dans la presse italienne… Sans tambour ni trompette, "217" mène sa vie, et plus de sept mille personnes l'ont visité. S'il était important de rester indépendant dans la phase de conception du site, Grégoire Maisonneuve reconnaît aujourd'hui rechercher des mécènes. (*) Projets en ligne de Patrick Bernier, Ludovic Burel, Claude Closky, Gianni Motti, le collectif Téléférique et Rainer Ganahl

Claire-Hélène Castier

LE MONDE INFORMATQIUE - Septembre 2002